Crim. 25 juin 2002, Bull. crim. n° 144, D.2002.3099, note J. Pradel
, 2475, point de vue O. Sautel
, 243, obs. S. Mirabail
, 2003.660, obs. F. Planckeel
)
La
Cour de cassation vient de briser tous les espoirs de ceux qui, fort
candidement, en avaient encore : l'enfant en voie de naître n'est pas
pénalement protégé contre les atteintes à sa vie, ce qui interdit toute
poursuite et toute condamnation du chef d'homicide involontaire (Crim.
25 juin 2002, Bull. crim. n° 144 ; D. 2002.3099, note Pradel
; JCP 2002.II.10155, note Rassat ; Dr. pén. 2002, chron. 31, concl. D.
Commaret, et comm. 93, obs. Véron ; Petites affiches, 10 sept. 2002,
note B. Daille-Duclos.
Adde : O. Sautel, Récidives... Brèves
considérations sur l'arrêt de la Chambre criminelle du 25 juin 2002, D.
2002, Point de vue, p. 2475). La raison officielle est que le principe
de la légalité des délits et des peines impose une interprétation
stricte de la loi pénale, conformément à deux arrêts antérieurs dans le
même sens relatifs au foetus, l'un de la Chambre criminelle
(1), l'autre de l'Assemblée plénière
(2).
Notre propos n'est pas de revenir sur ce qui a déjà fait l'objet de
commentaires nombreux et savants, ni de dresser un nouveau bilan des
oppositions, hésitations et évolutions de la jurisprudence sur la
question. Il s'agit seulement de se convaincre que légalisme ne rime
plus avec humanisme.
La grossesse d'une jeune femme était venue
à terme le 10 novembre 1991. Entrée en clinique en vue de son
accouchement le 17 novembre, la parturiente fut placée sous
surveillance vers 20 heures 30. Elle signala à la sage-femme une
anomalie du rythme cardiaque de l'enfant, mais celle-ci refusa
d'appeler le médecin. Un nouveau contrôle pratiqué le lendemain à 7
heures révéla la même anomalie, puis l'arrêt total des battements du
coeur. Vers 8 heures, le médecin ne put que constater le décès, constat
qui fut suivi de l'extraction par césarienne d'un enfant mort-né,
lequel, selon le rapport d'expertise, ne présentait aucune malformation
mais avait seulement souffert d'anoxie. Poursuivi pour homicide
involontaire, le médecin fut relaxé par le tribunal correctionnel. En
revanche, également mise en cause, la sage-femme fut quant à elle
condamnée. Saisie à son tour, notamment pour connaître des intérêts
civils, la cour d'appel de Versailles estima que les éléments
constitutifs du délit étaient réunis à l'encontre des deux praticiens,
et elle les condamna solidairement à des dommages-intérêts. Le médecin
déposa un pourvoi, contestant la qualification dans son principe, et la
Chambre criminelle lui donna raison, au motif que la légalité pénale «
s'oppose à ce que l'incrimination d'homicide involontaire s'applique au
cas de l'enfant qui n'est pas né vivant ».
La formule a d'autant
plus de relief et de portée que les défaillances sont réelles de la
part des deux auteurs du drame. La Cour de cassation elle-même en fait
état, reprenant les énonciations des juges du fond sur ce plan, qui
n'ont pas manqué de relever que le décès de l'enfant était la
conséquence des imprudences et négligences commises par eux, le médecin
en s'étant abstenu d'intensifier la surveillance de la patiente en
raison du dépassement du terme, la sage-femme en ayant omis de
l'avertir d'une anomalie non équivoque de l'enregistrement du rythme
cardiaque. Et d'en conclure « que cet enfant était à terme depuis
plusieurs jours et que, si les fautes relevées n'avaient pas été
commises, il avait la capacité de survivre par lui-même, disposant
d'une humanité distincte de celle de sa mère ». Tout était donc réuni
pour une vie après la naissance, aucun doute n'existait quant à la
viabilité, et seules les défaillances cumulées et conjuguées des
cliniciens ont été à l'origine du décès. Malgré cela, l'impunité a été
consacrée, parce que les dispositions de l'article 221-6 du code pénal
doivent être interprétées strictement, et que ce n'est que sur un
enfant « né vivant » que la protection pénale est à même de jouer.
L'argument
est fondé dans son énoncé, mais il ne l'est pas dans son application.
Il est légitime de se référer au principe de la légalité, mais il n'est
pas juste de limiter, au nom de ce principe, la protection du droit
pénal à la vie d'un enfant né vivant. Parce que l'article 221-6 protège
la vie indépendamment du seuil et des suites de la naissance, parce que
l'enfant, par et dans la phase de l'accouchement, est un être en voie
de séparation de la mère qui le porte, il est cet « autrui » dont la
mort mérite d'être prise en compte au titre de l'homicide involontaire.
Point n'est besoin d'avoir recours à un texte particulier pour le
reconnaître. La réalité est toute contenue dans l'incrimination en
cause, et c'est en dénaturer les éléments que d'affirmer le contraire.
Les
retombées de l'arrêt sont d'ailleurs à la mesure de ses excès. Comment
justifier, en effet, que des défaillances au cours d'un accouchement
soient juridiquement indifférentes lorsqu'elles aboutissent à la mort,
et qu'elles soient au contraire prises en compte lorsque l'enfant
survit avec un handicap ou de graves séquelles (Crim. 9 janv. 1992, Dr.
pén. 1992.172 ; cette Revue 1993.328
,
obs. Levasseur ; Crim. 25 sept. 1996, Gaz. pal. 1997.1, chron. crim.
20) ? Comment expliquer que le même comportement reste impuni dans un
cas, correspondant pourtant à l'hypothèse extrême, et donne lieu à
sanction dans l'autre, alors que le dommage est moindre ? Ce n'est pas
tout. Les fautes commises lors de l'accouchement peuvent ne pas aboutir
à une mort
in utero, mais être à l'origine d'une mort différée,
intervenant après la naissance de l'enfant. Mais parce que celui-ci est
« né vivant », sa mort est alors prise en compte et engage la
responsabilité pénale de ceux qui l'ont provoquée (Crim. 23 oct. 2001,
Bull. crim. n° 217 ; Dr. pén. 2002.27 (1er arrêt), obs. Véron ; Gaz.
pal., 2002.1.365 ; cette Revue 2002.102, obs. Mayaud,
et 320, obs. Bouloc
).
Comment adhérer à de telles solutions, alors que les défaillances, dans
les deux hypothèses, que le décès se situe avant ou après la naissance,
sont indissociables des opérations de délivrance ? Tous ces écarts sont
marqués du sceau de l'illogisme, tout simplement parce qu'ils procèdent
d'une lecture contestable du droit pénal, et qu'il n'est pas vrai,
fondamentalement, de prétendre que l'enfant dont la naissance est en
cours est une vie sans intérêt, de même qu'il est moralement dramatique
de fonder sa protection sur l'impact fatal ou non des maladresses d'un
médecin ou d'une sage-femme...
Un autre commentaire (chopé sur le site Dalloz aussi) :